Pour comprendre comment une personne peut être légitime, il faut d'abord qu'elle soit authentique. Il doit être évident que si elle se présente comme plombier, musicien, marin ou manager de haut niveau, ce n'est pas du bidon, qu'elle ne se contente pas "d'avoir" cette appellation mais qu'elle "est" bien une telle personne. Dès lors nous pouvons comprendre la notion de légitimité. Elle entre dans la distinction entre le mode être et le mode avoir. On peut avoir quelque chose et ne pas être légitime dans cette chose. Le mode avoir se différencie du mode être quand manque la légitimité. Avoir une autorité et être une autorité c'est la même chose si on est légitime. Avoir une femme et être son partenaire c'est la même chose si on est légitime pour elle, sinon c'est très différent.
En référence aux travaux de plusieurs figures de la psychothérapie analytique et systémique (Boszormenyi-Nagy, Searles, Winnicott, Laing, Bolby) qui partent du postulat que les êtres humains ne peuvent pas vivre sans donner, de la naissance à la mort, et qu'ils souffrent s'ils sont en situation de ne pas donner. Pour eux, il est plus grave de ne pas pouvoir donner que de ne pas recevoir assez. Les parents en procréant donnent la vie et mettent leurs rejetons en situation de dette vis à vis d'eux-mêmes ainsi que des générations précédentes par le simple fait d'avoir reçu la vie. Les enfants à leur tour donnent à leurs géniteurs le statut de parents. D'emblée les deux parties sont en situation de donner et de recevoir.
Mais il y a en permanence déséquilibre dans le temps, la quantité et la qualité entre celui qui donne et celui qui reçoit, entre ce qui est donné et ce qui est rendu. Ce déséquilibre est à l'origine de dettes et de crédits. Ces mouvements engendrent des sentiments de justice et d'injustice, d'envie de rendre ou de prendre, de remercier ou non, de réparer, corriger, accepter ou refuser des excuses, pardonner, ou rejeter, garder un sentiment de rancœur, accumuler des sentiments de rage ou de haine... L'injustice réelle ou ressentie crée le sentiment d'être non ou mal aimé, rejeté, blessé, instrumentalisé, déshumanisé... Ces sentiments s'exprimeront plus ou moins facilement, parfois sous forme de symptôme.
Si je donne à bon escient, c'est à dire en tenant compte du besoin de l'autre, si je me préoccupe de l'autre, j'acquiers du crédit et de la légitimité. En revanche si je reçois sans donner à mon tour, j'accumule de la dette. Si je ne crédite pas celui qui me donne, prend soin de moi, si je refuse un don ou si j'empêche l'autre de me donner j'accumule aussi de la dette. Paradoxalement quand je suis en situation de ne pas rendre, quand j'accepte d'être créancier l'autre est crédité d'une légitimité à mon égard. Quand je donne l'occasion à l'autre de donner je lui permets d'acquérir de la légitimité, et ce faisant, nouveau paradoxe j'acquiers à mon tour de la légitimité.
Quand il n'y a pas de réciprocité équitable un sentiment d'injustice naît, modifie les relations et peut même les conduire vers un blocage relationnel du fait de la perte de confiance des uns envers les autres.
Une forme de justice symbolique est la justice rétributive qui provient des échanges que l'on a avec les autres. Elle est fonction de la réponse faite par l'autre à mes dons, mon souci pour lui, ma préoccupation à son égard, mon engagement envers lui. Si je suis reconnu dans mon engagement, remercié, valorisé, encouragé, je suis en situation de justice rétributive. En revanche si je ne suis pas reconnu, si je suis ignoré, banalisé, voire maltraité, ou même nié en réponse à mon engagement pour l'autre je suis encore dans la justice rétributive mais négativement.
Le gain de légitimité augmente ma confiance dans le monde et en moi-même, donc mon estime de moi. Quand je rends ou que je donne à une personne avec qui je suis intimement lié je reçois en retour des mots, des attentions positives, des marques de reconnaissance, d'approbation. Ces marqueurs m'indiquent que je suis quelqu'un de vivant et digne d'intérêt, que mes réalisations entrent dans le domaine du bien. J'acquiers la conviction que par mon acte de donner je fais partie des êtres humains, que je vaux quelque chose aux yeux de l'autre, des autres. Je suis aimable et je peux m'aimer. Être empêché de donner équivaut à avoir une dette insolvable anxiogène.
D'autre part, cette attente de reconnaissance supprime la liberté de décider de donner ou ne pas donner, de s'engager ou pas, de prendre ou pas ses responsabilités. Pourtant, être empêché de donner équivaut à être rayé comme sujet. Décider de sa vie c'est aussi choisir de rendre ou pas, immédiatement ou plus tard, prendre le risque de plaire ou déplaire, d'être juste ou injuste.
Cette notion de légitimité et sa quête peut se reporter métaphoriquement dans le quotidien. Au sein du couple où le conjoint est pris pour cible. Encore, au niveau profesionnel où le sujet s'empêche d'évoluer en déclinant des propositions d'évolution. Sentimentalement ou amicalement en ne pérennisant pas suffisamment ses relations. Sociétalement, dans une dynamique procédurière et des plaintes constantes. Ce droit à se plaindre sans fin, cette sensation permanente d'insatisfaction, de ne pas être à sa place ou dans le bon rôle peut être entendu comme une demande d'être reconnu légitimement. Cette légitimité est souvent symbolique et l'hypnose accède à ce registre.