Communiquer, c'est mettre en commun et mettre en commun, c'est l'acte qui nous constitue. Si l'on estime que cet acte est impossible, on refuse tout projet humain et c'est l'inaccessibilité à l'autre, vers l'autre qui se matérialise, entre autre, par le biais d'outils langagiers comme la double contrainte.
Une "double contrainte" est un type particulier de conflit qui crée une situation non-gagnante, c'est-à-dire, une situation dans laquelle on est "damné si vous le faîtes, et damné si vous ne le faîtes pas". Pour l'anthropologue Gregory BATESON qui le premier a défini la notion de double contrainte, ces conflits sont à l'origine à la fois de créativité et de psychose. Ce qui fait la différence, c'est la capacité ou non à identifier et dépasser la contrainte de manière appropriée.
Les doubles liens se produisent assez fréquemment au quotidien. Considérez le dilemme du mari qui, quand il demande à sa femme ce qu'elle pense de certains sujets, obtient une réponse avec colère "ce n’est en aucun cas ses affaires". S'il ne demande rien à son épouse, il est cependant critiqué pour "ne pas se soucier" de ses opinions. Du fait de son incapacité à séparer la signification des deux messages et à répondre de manière appropriée, il se sent un mari inadéquat.
Pour mieux comprendre cette structure langagière, les ingrédients essentiels d'une double liaison se résument ainsi :
- L'individu impliqué dans une relation intense dans laquelle il sent qu'il est d'une importance vitale de distinguer avec précision quel type de message est communiqué, de sorte qu'il peut répondre de manière appropriée. Les types de relations à l'origine d'un double lien sont généralement des relations complémentaires, dans lesquelles une personne est dans une position de pouvoir ou de lien affectif fort ; c'est-à-dire parent-enfant, patron-subordonné, enseignant-élève, couple, etc. Dans une telle relation, l'individu "dépendant" ne peut pas survivre ou obtenir ce dont il a besoin sans la participation ou la coopération de l'autre personne. L'individu a besoin de plaire ou de répondre de manière appropriée à l'autre afin d'obtenir quelque chose de nécessaire pour survivre. La conséquence est que la personne en position de pouvoir est considérée comme "meilleure que" ou "plus capable que" l'autre, parce que la personne dépendante est "déficiente".
- L'autre personne en "position de pouvoir" exprime deux ordres de message et l'un nie l'autre. Il y a une première injonction négative, par exemple, (1) "Ne fais pas X, ou je te punirai." Ou (2) "Si tu ne fais pas X, je te punirai". La punition n'a pas besoin d'être physique, elle peut être une désapprobation ou un abandon du fait d’un sentiment d’impuissance. Ainsi, l'individu évite constamment la punition plutôt que de chercher une récompense.
- L'individu "dépendant" est incapable de commenter les messages exprimés ou de faire des corrections sur l'ordre du message auquel il doit répondre ; c'est-à-dire qu'il ne peut pas méta communiquer. Cela peut être du au fait que l'individu est confus ou manque de discernements pour reconnaître qu'il ou elle est dans une situation de double contrainte, ou parce que la méta communication n'est pas permise.
- Il existe une troisième injonction négative qui interdit d'échapper à la situation, du fait de situation de survie, d'amour, et de punition, etc. La "victime" et parfois "l'auteur" de la double contrainte sont incapables de quitter le champ, se piégeant dans la situation et s’empêchant de prendre toute la distance ou la sécurité qu’implique la situation. C'est une expérience répétée, et pas un seul événement traumatique, de sorte que la double contrainte devient une attente habituelle. Ce troisième message semble constituer une partie importante du modèle de double contrainte. L'autre interprète l'inconfort ou la confusion de l'individu comme un signe d'incompétence ou d'intention négative provenant d'une position de pouvoir de la part de l'individu qui vit la double contrainte (renversement de la réalité). Le troisième message se situe le plus au niveau de l'identité. L'implication étant que le sentiment de confusion de l'individu est une preuve de l’existence de quelque chose de défectueux au niveau de son identité : "le problème de cette relation réside en vous", "vous ne vous souciez pas de moi", "vous vous jouez de moi", "tu devrais en savoir bien plus que ça".
Vivre dans un système relationnel, familial ou dans un contexte social où l'on est constamment soumis à des doubles contraintes peut créer de grands stress émotionnels et contribuer à la survenue de certains types de problèmes psychologiques et même de maladie mentale. Une personne peut apprendre à distinguer les messages contradictoires en devenant plus consciente des incongruences dans la communication des autres. En particulier dans les incongruences impliquant des "méta-messages" non verbaux, par exemple, quand une personne dit "oui" en secouant la tête horizontalement. Souvent, des personnes se retrouvent confuses ou coincées simplement parce qu'elles sont incapables de détecter ces doubles messages lorsqu'elles les reçoivent.
L'un des défis de l'identification des doubles contraintes concerne les différents niveaux d’injonctions négatives : "Ne faîtes pas X ou vous serez punis" ou "Si vous ne faîtes pas X, vous serez punis", ce qui place la personne en position de constamment éviter la punition plutôt que de chercher la récompense. Être capable d'identifier et de trier ces types d'injonctions constitue une partie importante de la résolution des doubles contraintes. La façon dont ces injonctions sont structurées tend à limiter la perspective d'une personne, l'aveuglant sur des choix qui seraient évident si les options étaient présentées différemment.
Un autre défi dans le tri des messages contradictoires, ou des injonctions, qui créent des liens contraintes, est que l'un des messages, est à un niveau plus abstrait que l'autre. Apprendre à lire ou à reconnaître ces messages de niveau plus élevé implique la capacité à mieux calibrer et interpréter les schémas de communication des autres. Cela implique également la prise de conscience qu'il existe, en fait, différents niveaux de communication. La capacité à faire la distinction entre les messages adressés à différents niveaux d'expérience, (les niveaux logiques en P.N.L.: environnement, comportement, capacités, croyances, valeurs et identité) peut automatiquement aider à trier ces différents niveaux de messages. De nombreux problèmes de communication et d'interaction surviennent du fait de la difficulté à reconnaître l’existence de plusieurs niveaux d'expérience et de la confusion ou de l'effondrement de différents niveaux de communication ou d'expérience qui auraient dû être perçus comme distincts.
Le niveau auquel un message particulier s'adresse est souvent communiqué par différents méta-messages non verbaux. Considérons par exemple les différentes implications dans les messages suivants : "tu ne devrais pas faire cela ici" ou "tu ne devrais pas faire cela ici" ou encore "tu ne devrais pas faire cela ici". Selon le placement de l'inflexion vocale, le message prend différentes implications relatives à un niveau particulier d'intensité : Vous (identité) ne devriez pas (croyances / valeurs) être en train de faire (capacité) ce (comportement) ici (environnement). C'est la présence ou l'absence de tels méta-messages qui détermine souvent comment un message est interprété et si un message sera interprété de façon appropriée.
Développer une plus grande attention aux indices non verbaux tel que le stress vocal, peut aider à devenir plus sensibles aux différents niveaux de communication, et beaucoup moins susceptibles de devenir confus ou piégés par des niveaux mixtes de messages. La double contrainte donne un exemple classique de l'affirmation d'Albert EINSTEIN selon laquelle "vous ne pouvez pas résoudre un problème avec le même type (ou le même niveau) de réflexion que celui qui a crée le problème". Ainsi, un moyen de sortir d'une double contrainte consiste à trier puis à sauter les niveaux logiques. Quand cela survient, au lieu d’être une source de pathologie, la double contrainte peut devenir une source de créativité et même d'éveil.
La perception du contexte semble être une composante importante des doubles contraintes (et de leur rupture), en particulier en relation avec le "troisième message". Une sorte de compréhension tacite est créée dans laquelle il est présupposé que dans cette situation, ce type de personne réagira de cette façon. Sortir des doubles contraintes implique la capacité clé à reconnaître et à remettre en question de tels présupposés.
La reconnaissance de l'influence du contexte et des présupposés sur le comportement conduit également à un autre aspect important de la résolution des doubles contraintes. Derrière ce principe fondamental qui précise que derrière chaque comportement se trouve à un certain niveau (de pensée), une intention ou un but positif, une fois l'intention positive découverte, il est possible de trouver d'autres choix comportementaux pouvant satisfaire l'intention mais avec des conséquences différentes et plus écologiques.
L'une des choses les plus frustrantes dans les doubles contraintes découle de la troisième injonction négative qui empêche d'échapper à la situation. Même si quelqu'un peut résoudre le reste de la situation de double contrainte, être capable de "sortir du cadre " peut souvent offrir assez de soulagement pour empêcher la situation de devenir intolérable. Avoir "un ailleurs" peut aider considérablement à soulager le sentiment de désespoir associé aux doubles contraintes.
Parfois, les gens découvrent que rien ne les empêche vraiment d'échapper physiquement à la situation. Au lieu de cela, ils sont pris au piège de leurs propres croyances ou des limites de leur "carte du monde". En se rappelant simplement qu'ils peuvent partir, ou avoir d'autres choix, les gens peuvent souvent sortir des aspects les plus blocants d'une situation de double contrainte.
Une autre façon de "quitter le cadre" est la dissociation mentale, ce qui implique d'aller à une position d'observateur, une méta-position par rapport à la relation. Cette méta position impliquerait la capacité d'être à l’extérieur de, ou au-delà de soi, en regardant non seulement ses propres actions, mais aussi ses interactions avec les autres, comme si on regardait un film ou une vidéo. Cela donne à une personne la possibilité d’avoir une perspective différente et de trouver un contexte qui ne peut pas être touché par la situation de double contrainte en cours. Ce changement de perspective est également facilité par l’utilisation des pronoms à la troisième personne (lui, elle, eux, eux, etc.) pour se décrire soi-même et les autres personnes impliquées dans l'interaction.
Donc, une fois maîtrisé les éléments de la double contrainte, on peut même commencer à créer des doubles contraintes positives. Une double contrainte (positive ou négative) est plus fonction des significations ou des conséquences de comportement que des comportements eux-mêmes. Dans une double contrainte négative, le but de l’action spécifique ou l’évitement de cette action est négatif ou nuisible. Dans une double contrainte positive, le résultat est positif ou précieux. Au lieu de mettre à mal une personne, une double contrainte positive la met à l’aise, quoi qu'elle fasse, c'est-à-dire, au lieu d'être damnée en le faisant, et damnée en ne le faisant pas, elle obtient un bénéfice si elle le fait, et un bénéfice si elle ne le fait pas.
Le légendaire psychiatre et hypnothérapeute Milton ERICKSON a fréquemment utilisé de telles doubles contraintes positives avec une dynamique thérapeutique pour surmonter les résistances ou induire une transe. ERICKSON pouvait par exemple dire à un patient : "vous pouvez entrer dans une transe confortable en suivant mes conseils, ou en résistant à tout ce que je suggère" ou "souhaitez-vous trouver la solution à votre problème avec mon aide, ou par vous-même ?" Notez qu’avec la forme des suggestions, la personne atteindra l'état désiré indépendamment de ce qu'il fait. Encore une fois, la double contrainte est créée à partir de différents niveaux de messages. L'état désiré (entrer dans une transe confortable ou trouver la solution à votre problème) est à un niveau différent de celui des actions particulières (suivez mes conseils ou résistez à ce que je dis).
Ainsi, les doubles contraintes sont un phénomène difficile mais courant qui peut être soit la source d’inspirations et créativité, soit de stress et même de symptômes psychologiques graves, selon le type de contrainte et les ressources mobilisables pour y faire face. Avec la compréhension de la structure plus profonde des doubles contraintes pathologiques, il est possible de développer des compétences et des stratégies pour les transcender ou les transformer. Il est également possible de construire des doubles contraintes positives ou thérapeutiques qui aident les individus à atteindre les résultats souhaités au lieu de créer anxiété, souffrance et latence.