Tremblements, sensation de vide palpitations, cris irrépressibles, mal au cœur, difficulté à s’endormir, à penser, boule dans la gorge, nœud dans le ventre... La peur dans son état s’accompagne de phénomènes physiques qui s’expriment et s’impriment dans le corps. Sueurs, sidération, tachycardie, bouffées de chaleur, envie de se dissoudre, dissociation, envie de crier "Maman j’ai peur", vertiges, évanouissement que l’on craint tout en rêvant qu’il se réalise pour nous soustraire à l’impossible ! Les signes psycho-symptomatiques de la peur frisent parfois le ridicule ou l’aberration pour celui qu’elle n’agite pas. Catatonie, frissons, secousses, hurlement qui échappe, désir de fuir aussi fort qu’irréalisable. La peur nous fragilise, perturbe la confiance en nos capacités de résistance aux chocs et nous transforme en proie idéale face à celui que la vulnérabilité de l’autre valorise. Comment réagir aux circonstances les plus émouvantes, les plus éprouvantes, pour notre sensibilité quand on n’est pas un héros ?
Du latin pavor, dont sont dérivés peur, peureux, apeuré, décliné par les détours de la langue en épouvantail et, plus curieusement en épave qui, avant de désigner un objet rejeté de la mer et sans propriétaire, signifiait effrayé et par connexion égaré. Cela laisse imaginer l’état dans lequel nous plongerait la peur si on s’y livrait sans résistance. Il est vrai que de bien des façons elle nous égare. Terreur, effroi, phobie, crainte, panique, appréhension, angoisse… multiples en sont les synonymes et vaste le vocabulaire psycho-somatique, psycho-corporel, qui s’en fait l’écho pour l’affirmer, la sonder, la crier. Oppression passagère ou inquiétude permanente qui revêt toutes les figures et s’arrange de toutes les situations pour se rappeler à celui qu’elle habite, la peur s’impose quand nos forces constructives nous échappent. Réaction face à une difficulté qui nous fait douter de celles-ci et re-douter la réaction que suscitera notre action en réponse à une difficulté, quelle qu’elle soit, la peur, réflexe à priori non pathologique, reste un mystère autant qu’une évidence.
Peur d'exclusion et hantise du vide ou appréhension de la liberté. Si la peur existe à l’état pur, il lui arrive de disputer le terrain à l’envie, et quand elles se neutralisent, c’est la paralysie. Nous tiraillant entre ce qui éveille notre curiosité et ce qui nous invite à rester à l’intérieur, elle se chamaille avec le désir, convoque notre vulnérabilité, exhorte notre courage. Espoir et douleur, joie et frayeurs…La peur d’agir agit avec son contraire, et met en jeu des sentiments paradoxaux.
Certains s’accommodent de leurs peurs, les débaptisent, les déguisent. La peur de voyager, de prendre le train, l’avion… le vélo se convertit en goût pour la marche. On inverse sa phobie en art de vivre et la panique hystérique des chats se transforme en passion pour les canidés. En sommes on déplace le curseur de ses besoins vers le bas, parfois le très bas, se convainquant que le minimum, l'incomplet, le pauvre, l'insuffisant, l'insatisfaisant, contenteront.
Peur de l'abandon, de l'autre, de l’immobilité, peur des mots aussi. Peur de disparaître, peur que "ça se voie", que mon château de sable ou de cartes s’effondre ! Peur de trahir ou d’être trahi, la peur met à l’œuvre et stigmatise le plus souvent la reviviscence inconsciente d’un passé douloureux. Et l’émotion qu’elle fait surgir plonge dans l’embarras quand au détour d’une phrase, d'une analogie ou juste d’un mot, elle nous bouleverse sans dire pourquoi ou fait juste barrage à la communication. C’est quand elle n’est ni nommée ni reconnue et agit en sourdine que la peur est mauvaise. Comme si ses effets silencieux se liguaient pour sévir avec plus ou moins de violence, sur la vie affective. Ce sont les blancs, les silences dans les réponses.
Contrairement à l’angoisse, dépourvue d’objet, la peur sait identifier ses démons. Mais si la séparation de ces expressions, poussées à leur paroxysme, fait sens, je me demande si, en matière de vécu, de ressenti intime, la frontière est aussi définie, et si toute peur ne dissimule pas une angoisse sous-jacente. Si l’une nous étrangle, l’autre nous paralyse. Et toutes deux, supposant des présences auxquelles nous préférons échapper ou des absences auxquelles nous désirons survivre, en dépit des tortures qu’elles nous font subir, nous infantilisent et nous font régresser.
Sentiment d’inquiétude éprouvé en présence de la pensée d’un danger, il n’est de peur injustifiée, mais si le danger est bien présent, il n’est pas toujours là où l’on croirait le trouver. On redoute ce que l’on ne connaît pas mais aussi de ce qui nous rappelle quelque chose que nous croyons connaître. Souvent, derrière la peur se cachent des souvenirs d’émotions fortes, insupportables dont la résurrection effraierait.
Ainsi, il peut se concevoir la reviviscence indicible d’un mal-être qui accompagna la faute plus grave d’un "ancêtre". De ce fait, la peur ne nous appartient pas forcémént, nous n'en sommes que le messager. Avide, elle s’auto-alimente, aussi longtemps que sa véritable source n’a pas été débusquée. La transmission d’une crainte étouffée à travers les générations devient plus lourde et plus douloureuse que ne l’aurait été une révélation soutenue par un entourage bienveillant. L'être peureux sait qu'il faute en se poussant dans une inertie existentielle. La peur aggrave le réel. Et ses causes ne sont pas toujours exaltantes. Volonté de puissance, ambition démesurée ou absente, jalousie, culpabilité, en sont parfois le moteur caché. Associée à cette dernière, elle peut occasionner autant, si ce n’est plus, de ravage que la faute commise, incriminée, à tort ou à raison, qui l’aura engendrée. Et quand elle sévit, feignant l’innocence pour se protéger, et démasquer un autre coupable, l’idée d’être découvert lui confère une agressivité phénoménale. Invitant à la précipitation, à l'impulsivité, elle incite à l’erreur, et à travers des actes insensés, se retourne contre le peureux.
Ainsi la peur d’un fantôme en apparence imaginaire serait l’écho d’actes, de faits, réels passés terrorisants qui se feraient entendre, sous une apparence personnifiée, car on aurait cherché à en nier la gravité. Et la portée dramatique de certains secrets serait amplifiée par la crainte de leur révélation, face à l’intransigeance de proches ou la cruauté du jugement social. La peur agit irrationnelle. Plus on la néglige, plus elle sévit, sournoise et en sourdine. Ne renonçant jamais à faire entendre le pourquoi elle surgit, jusqu’à prendre des proportions insupportables pour le terrifié et pénibles voire grotesques pour l’entourage.
La peur s’additionnant à la peur qu’elle engendre, les monstres qui se cachent sous le lit feront peur aussi longtemps que la peur nous empêchera de les regarder en face ! Ne plus avoir peur de sa peur, entendre ce qu’elle nous signifie. Oser ne pas lui obéir quand elle intime de nous taire ou nous sidère. Ouvrir la boite de pandore, sans craindre ce que l’on va y trouver. Comme pour une plaie qui empire si on ne la soigne pas, essayer de se débander les yeux, la peur est une alerte qui mérite notre attention.