La puberté est ce moment incontournable où le réel de la chair vient faire irruption dans l’image du corps. L’adolescent se sent gauche, maladroit, s’interroge sur l’identité de son moi et ressent comme une disgrâce l’irruption de ce nouveau corps avec ses odeurs, ses fluides, ses sensations inattendues et le dévoilement de ces émotions par l’irruption irrépressible de la rougeur. Ce corps changeant, pulsionnel qui le déborde, secrète le plus souvent des affects qui sont ceux de la pudeur, de la gêne, de la honte voire du dégoût, que les adolescents tentent de gérer par la provocation ou par la fuite, en se planquant derrière une image passe-muraille dont eux seuls ont le code.
Ainsi commence le temps du paradoxe. L’adolescence brisant l’unité bienheureuse de l’enfance, le jeune ne sait plus trop qui il est, où il va, ne se définit plus comme l’enfant par sa place dans le système familial et social, et cherche "un lieu où le chaos l’accepterait" comme disait Bob Dylan. Il va tenter de se construire une nouvelle identité de façon plus ou moins aléatoire, avec des régressions et des transgressions. Son inquiétude se décline en interrogations à la fois narcissiques et objectales : Qui suis-je ? – Qui suis-je pour autrui ? - Comment les autres me voient-ils ? Le juvénile figé attend, espère, redoute la nomination qui va lui faire retour dans le regard, la parole d’autrui sous lesquels il se sent à la fois exister et disparaître, et auxquels il peut répondre de manière violente quand il se sent flingué, néantisé, exclu. Nous avons tous à l’esprit l’image bien connue du homard pendant la mue de Françoise. Dolto. Elle donne à voir la fragilité psychique de cet écorché vif qui se défait de sa carapace et doit redessiner ses frontières et l’image qu’il a de lui-même.
L’adolescent est alors très en recherche et craint de ne pas trouver ce qu’il cherche, d’autant qu’il ne le sait pas toujours lui-même, génèrant une ambiance intérieure très anxiogène. La période de vie faisant, la fonction de protection et de contenance parentale est souventt remise en question, le jeune perd en partie les appuis narcissiques antérieurs et va devoir non seulement investir ce nouveau corps sexué mais découvrir ses ressources personnelles, montrer ce qu’il a dans le bide. Il se positionne alors régulièrement entre passivité et proactivité, une stratégie cognitivo comportementale se voulant psychiquement économique.
C'est le moment des pertes, des dueils : le Moi du jeune secoué par l’épreuve, a l’impression de perdre, en même temps que l’amour des parents, l’amour de lui-même et subit une déflation, compensée par une inflation narcissique qui le rend arrogant et l’amène à se croire supérieur, tout-puissant. Inexpérimenté et en apprentissage existanciel, il s’imagine défier les adultes tout en enviant en secret leur assurance. Ce mouvement de désidentification aux imagos infantiles lui permet de se séparer des images tutélaires de l’enfance, d’entrer en rivalité et le pousse loin du cocon.
Pour sauver son identité menacée, s’affirmer, le jeunot va s’opposer par ses choix de vie, ses idées, inventer des comportements et des accoutrements extravagants, s’identifier à des modèles et à des idoles qui peuvent être diamétralement opposés à ceux des figures parentales, mettre à l’épreuve les principes de valeurs, les normes, les interdits afin de faire reculer les limites et de dessiner ses frontières personnelles. Il a tout autant besoin de chercher à polémiquer, à exaspérer l’adulte, à le provoquer, qu’il a besoin de recevoir de lui ce qui lui manque et de trouver en face de lui un cadre, des barrières, un garde-fou, La construction de soi suppose de déplacer la puissance des imagos parentales infantiles vers des figures sociales adultes qui se tiennent en surplomb, indiquent un cap, et dont les adolescents, en quête de boussole, vont observer la cohérence, sonder les valeurs.
L’adolescence devient stucturellement le temps de la conflictualité psychique où l’on désire une chose et son contraire, où le besoin de s’affirmer se conjugue avec la peur de se confronter au monde extérieur, où le désir de liberté s’oppose au besoin de sécurité, où le besoin de recevoir, d’être entouré, protégé, contrarie la volonté de se suffire à soi-même.
Et n'oublions pas que nous avons tous, sans exception, été juvénile. Parfois adulte, nous retournons dans cette période, comme pour y chercher ou terminer quelque chose, mais ceci est un autre sujet !