Vous savez, cette expression familière que nous employons à tour de bras, "prendre conscience", oui, mais laquelle ?
Qu'est-ce que la conscience ? Répondre à cette question apparemment anodine reste un défi notamment pour les neuroscientifiques. Chacun a une intuition de ce que signifie ce terme, mais le définir reste d'une autre envergure. S'il faut tenter une définition, disons que la conscience correspond à ce que nous perdons lorsque nous nous endormons profondément et ce que nous récupérons quand nous nous réveillons. Toutefois, on s'accorde à dire que la conscience présente deux composantes indispensables : l'éveil et la perception consciente. L'éveil se caractérise par une ouverture prolongée des yeux et est sous-tendu par l'activation du tronc cérébral ainsi que de ses projections vers le thalamus et le cortex. La perception consciente correspond à l'ensemble des expériences subjectives présentes, passées et futures. Elle est définie au plan clinique par des comportements volontaires tels qu'une réponse à la commande.
L'éveil et la perception consciente vont généralement de pair. Par exemple, quand nous nous endormons, ces deux composantes diminuent progressivement. Pourtant, ce n'est pas le cas durant le sommeil paradoxal (c'est-à-dire la principale période des rêves) où nous sommes relativement conscients, mais pas éveillés, ou encore dans certains états pathologiques, tels que les crises d'épilepsie, le somnambulisme ou encore le syndrome d'éveil non répondant (état végétatif) où nous sommes plus éveillés que conscients.
La perception lucide, consciente, comporte deux versants : le niveau et le contenu. Le premier se rapporte à la question "cette personne est-elle consciente ? ", alors que le second porte sur la question " cette personne est consciente, mais de quoi ?" Le niveau de conscience se caractérise par la conscience d'un flux toujours changeant d'états mentaux spécifiques, alors que les contenus de la conscience sont des états transitoires dont nous sommes conscients à chaque instant. Le contenu de la conscience peut être interne ou externe. La conscience externe, c'est-à-dire celle de l'environnement, est associée à une expérience vécue au travers des différentes modalités sensorielles (vision, audition, odorat, etc.). La conscience interne se réfère aux processus mentaux qui ne requièrent pas la médiation de stimulus sensoriels externes, et inclut par exemple les pensées spontanées, le discours intérieur, la rêverie et l'imagerie mentale.
Le rôle de l’état de conscience ordinaire est de rendre possible la vie quotidienne dans sa compréhension à chaque instant. L’état de conscience ordinaire favorise l’adaptation et permet aux individus de vivre et d’agir ensemble selon des codes communs, issus de grilles culturelles élaborées pour subvenir tant à leurs besoins physiologiques qu’à leurs besoins de sécurité et d’intégration sociale. Notre état de conscience ordinaire ou normal est un outil, une structure, un mécanisme d’intégration qui nous permet d’interagir avec une certaine réalité sociale acceptée, un consensus de réalité. Or cet état, défini comme "l’orientation généralisée vis à vis de la réalité", ne peut se maintenir que grâce à un effort actif du mental qui cherche constamment à le perpétuer. Tout un processus de conditionnement est nécessaire pour que ces données soient fixées et déterminent des comportements acceptés de tous dans le cadre social.
Parallèlement à cette conscience dite ordinaire, l’état modifié de conscience, appelé aussi état de transe, se produit lorsque le système de référence à la réalité cesse temporairement de fonctionner, et qu’il disparaît de l’attention consciente, si bien qu’il se produit une "restructuration de la conscience" sur d’autres bases, permettant l’accès conscient ou inconscient à l’aspect invisible ou caché des choses. Ainsi la transe ou état modifié de conscience désigne tout état mental différent de l’état d’éveil ordinaire (notre mode de fonctionnement rationnel) : rêve, rêve lucide, relaxation, état hypnagogique, état hypnopompique, état érotique, interprétation artistique, intuition, créativité, méditation, rêve éveillé, transe hypnotique, transe chamanique, état mystique, état sophronique, état d'éveil paradoxal, expérience de mort imminente, transe somnambulique, etc. Ces états sont naturels (non pathologiques), même s’ils peuvent être provoqués par des techniques thérapeutiques spécifiques ou utilisés dans certaines méthodes de développement personnel. Et dans ces états modifiés, il y a différentes consciences : par exemple, ce qui diffère la transe du rêve est le fait que la transe est volontaire (donc consciente !) alors que le rêve est inconscient. En transe, le sujet est conscient, il ne perd à aucun moment le contrôle et le souvenir des évènements imaginaires, contrairement au dormeur-rêveur. En revanche, comme dans le rêve, la transe n'est pas prévisible dans son contenu. Il y a donc une "intrusion" inconsciente dans le conscient : être inconsciemment lucide. Plus encore, la transe, favorise une véritable pharmaco-industrie endogène : cannabis, ecstasy, cocaine, opium, LSD mais également anxiolytiques, antalgiques, antidépresseurs, etc, de quoi soigner tous les maux !
D'après une étude britanique près de la moitié des anglais (48%) aurait subi ou recherché au moins une fois une expérience de conscience modifiée. On est donc devant un phénomène courant, banal, pour ne pas dire normal lorsqu'à chaque fois que l'on est transporté d'émotion devant un tableau ou une musique (syndrome de Stendhal), à chaque orgasme, chaque fois que l'on a un peu trop abusé de l'alcool et même à chaque fois que l'on rêve, on vit un état modifié de conscience.
Ce n'est donc pas un étonnement si la transe est utilisée thérapeutiquement car tout état modifié de conscience est une tentative de recherche voire d'accession d'informations et de possibles ailleurs que dans le monde "normal". Que l'on fasse appel aux esprits, aux divinités, aux ancêtres dans les cultures orientales ou à l'inconscient en occident, c'est le même phénomène chimico-cérébral. Lorsque nous voyageons dans ces étranges régions de l'esprit humain, on a accès à un savoir occulte inconscient, refoulé et solutionnant.
Cette modulation de l’état de conscience ordinaire peut être produit par des phénomènes très divers. Ils peuvent être naturels et très variés. Depuis l’absorption totale dans une activité, jusqu’à la détente du sommeil profond. Ils peuvent être conscients ou volontaires, comme les états mystiques, ou au contraire, provoqués artificiellement, par des drogues, etc. Mais ils ne représentent en eux-mêmes aucun signe de haute spiritualité. Ils offrent simplement la possibilité de libérer de nouvelles énergies psychiques, permettent de faire émerger de nouveaux matériaux, riches en sens, jusqu’alors enfouis à l’intérieur de nous-mêmes, et nous conduisent à la découverte de nouveaux aspects de la réalité.
Cependant, lorsqu’ils répondent à un manque, ces états modifiés de conscience agissent en tant que mécanisme de compensation devant un état de détresse psychique, ou de fuite, ou d'une tentative de résolution des conflits émotionnels. Il peut se créer alors un état dissociatif. La dissociation est classique en transe mais devient pathologique lorsqu'elle n'est pas recherchée comme effet expérientiel. Possible échappatoire aux responsabilités et aux tensions, l’état modifié de conscience devient alors un refuge et une source d’isolement : un chemin de plus vers la maladie. L’individu devient incapable de passer volontairement d’un état de conscience à un autre ou au contraire, délibérement, il plonge dans ce qui peut être considéré comme des états de consciences modifiés maladifs : l'état dépressif, l'état anxieux, la paranoïa, l'alcoolisme et les autres abus toxicomaniaques, mais également l'activité intellectuelle intense, l'activité sportive excessive, les troubles des conduites alimentaires, des compulsions en tous genres, etc., tous les stratagèmes capablent d'altérer la conscience. Ainsi, nous choisissons, le contexte et ses usages afin d'accéder à une filtration, une perception particulière et "vivable" de la compréhension que nous attendons de nous dans le monde.
Maintenant, c’est lorsqu’ils répondent à des besoins d’adaptation ou d’intégration à de nouvelles situations ou de nouveaux défis, que les états modifiés de conscience sont porteurs de solutions : "guérison" par transe, inspiration créatrice, nouvelles voies de connaissance et de conscience permettant de découvrir notre réalité intérieure. Dans l’état modifié de conscience, le processus de pensée tend à se modifier, développant une capacité à penser par images et métaphores favorisant l’accès à des modes de connaissance induite, ou voie symbolique. A travers la fonction d’analogie, le symbole nous sort de l’emprisonnement de l’observable, qui manipule nos sens, et de l’emprise de l’immédiat. Pour le langage rationnel, celui de l’état de conscience ordinaire, chaque mot ne peut avoir qu’une seule signification. A travers le symbolisme et au contraire du concept du langage rationnel, le symbole peut porter de multiples significations dans une seule image-objet. Le rôle essentiel de l’état modifié de conscience consiste donc à provoquer une rupture du plan de conscience pour lui permettre une réorientation vis à vis de la réalité, en sortant du système habituel de références apporté par l’état de conscience ordinaire, une façon fiable de sortir de sa zone de confort usuelle et limitante.
Il est extrêmement important de réaliser que le niveau de conscience particulier qui a créé les problèmes actuels d'un individu ne permettra pas de les résoudre. Souvent, la plupart des gens ne connaissent qu’un moyen pour passer d’un niveau de conscience à un niveau supérieur : Attendre que leurs problèmes existants deviennent si gros que demeurer au niveau de conscience actuel, support du blocage, n’est plus tolérable et que changer d'état de conscience devienne alors une nécessité indispensable. En d’autres termes, un individu change de niveau de conscience donc de regard sur la compréhension de son monde, parce qu’il lui est trop intolérable de rester là où se trouve actuellement. Chaque niveau de conscience atteint par une personne devient son centre de gravité.
En d’autres termes, bien qu'un niveau de conscience peut fluctuer dans l’instant, en fonction des événements et des émotions, une fois qu’un certain niveau de conscience est atteint, il devient acquis et il difficile de revenir durablement aux niveaux antérieurs. Plus nous prenons conscience de la mobilité, de la dextérité que nous pouvons avoir à cheminer au travers ces états de consciences, tels des écrans de discernement, plus nous sommes aptes à nous adapter à notre environnement, de pouvoir réduire les signaux d'alertes, et plus nous nous permettons d'exploiter notre plein potentiel.